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Le Razzégui : Caractérisation ampélographique, cytogénétique et moléculaire d’un cépage tunisien autochtone
H. Snoussi Trifa *
E. Jedidi
M. Ben Slimane Harbi
Horticultural Laboratory, Tunisian National Agronomic Research Institute (INRAT), Rue Hedi Karray, 1004 Tunis, Tunisia
Abstract - Tunisia harbor an interesting germplasm of cultivated grapes and their wild relatives. Within this wide diversity, Razzegui has the biggest berry size and can, therefore, be considered as one of the most promising cultivars for commercial production or as a genitor in improvement programs. Razzégui, is part of genetic heritage of value, which should well be characterized and developed. It is a grapevine with flowers, which are morphologically hermaphrodites but physiologically females with reflex stamens. This floral type occurs most often in dioecious Vitis sylvestris, contrary to Vitis vinifera L. with flowers predominantly hermaphrodites. Our study aims at understand the relation between Razzégui and the other cultivated and Tunisian wild native grapevines. We have studied the ampelographic characteristics of Razzégui by means of 34 descriptors of the International Organization of the Vine and the Wine (OIV) for which 20 levels of expression were tested. In addition, cytogenetics of this grapevine were carried out and allowed the evaluation of its chromosomal constitution. Finally, 9 microsatellites loci VVS2, VVMD5, VVMD7, ssrVrZAG21, ssrVrZAG47, ssrVrZAG62, ssrVrZAG64, ssrVrZAG79 and ssrVrZAG83 were used on 54 genotypes including Razzégui. We have shown an intermediate position of Razzégui between cultivated and wild grapevines, arguing for a single type that could be considered as an intrinsically wild grapevine with characters of cultivated variety.
Keywords: Vitis vinifera / Vitis sylvestris / floral type / descriptors / ploidy / microsatellites / grapevine of Tunisia / domestication.
Résumé - Les origines des cépages cultivés de Tunisie demeurent très mal connues. Au sein d'une large diversité d'un encépagement autochtone tunisien se distingue le Razzégui considéré comme étant le meilleur cépage de la gamme des vignes autochtones cultivées puisqu'il est décrit comme le plus gros des raisins de table de Tunisie. Le Razzégui, fait partie d’un patrimoine génétique de valeur, qui devrait être bien caractérisé et valorisé. C'est un cépage à fleurs morphologiquement hermaphrodites mais physiologiquement femelles à étamines reflexes. Ce type floral est retrouvé le plus souvent chez les Vitis sylvestris dioïques, contrairement aux Vitis vinifera L. à fleurs à prédominance hermaphrodites. Au sein d’une collection de vignes autochtones tunisiennes cultivées et spontanées, la position de ce cépage demeure confuse. Cette étude a d'abord visé la précision des caractéristiques ampélographiques du Razzégui moyennant 34 descripteurs du code de l'Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) pour lesquels 20 niveaux d'expression ont été testés. On a par ailleurs, réalisé la cytogénétique de ce cépage qui a permis d'évaluer sa constitution chromosomique. Enfin, on s'est proposé de rechercher une éventuelle proximité génétique au sein d'une gamme de variétés cultivées et d'écotypes spontanés de Tunisie. Le Razzégui, avec 54 autres vignes autochtones ont été analysés avec l’outil moléculaire. Pour cela, 9 locus microsatellites VVS2, VVMD5, VVMD7, ssrVrZAG21, ssrVrZAG47, ssrVrZAG62, ssrVrZAG64, ssrVrZAG79 et ssrVrZAG83 ont été analysés. Au total, 54 génotypes uniques ont été observés. Les résultats ayant montré une position intermédiaire du Razzégui, entre vignes cultivées et spontanées, militent en faveur d'un cépage unique pouvant être considéré comme une vigne intrinsèquement spontanée avec des caractères de vigne cultivée.
Mots-clés: Vitis vinifera / Vitis sylvestris / type floral, descripteurs / ploïdie / microsatellites / cépage de Tunisie / domestication.
1. Introduction
La viticulture s’étendait au fil des civilisations autour du bassin méditerranéen à partir des régions du Sud du Caucase et du croissant fertile, où l’Homme se sédentarisait et développait l’agriculture. La vigne eurasienne (Vitis vinifera L.) devient la culture fruitière la plus cultivée et la plus importante économiquement dans le monde (Mattia et al. 2008). Vitis vinifera L. est une espèce à vocation agronomique remarquable, chargée d’histoire et de symboles, et offrant une diversité exceptionnelle (This et al. 2006). Les deux formes de Vitis vinifera L., cultivée V. vinifera ssp vinifera, et sauvage V. vinifera spp sylvestris, sont considérées comme deux sous-espèces en fonction des différences morphologiques.
Au cours de la domestication, l'Homme a sélectionné des caractères agronomiques leur permettant d’accroitre le rendement et la qualité du fruit. On suppose qu’un des premiers caractères à avoir été sélectionné est l’hermaphrodisme permettant d’augmenter significativement le rendement et la régularité de la production. D’autres caractères comme la vigueur, la tolérance aux pathogènes, la taille ou la couleur des baies, etc…, ont été au fil des générations sélectionnés par l’Homme. Les meilleurs cépages sélectionnés ont été par la suite maintenus et conservés par reproduction végétative.
La diversité de la vigne cultivée est très importante aussi bien au niveau des cépages qu'au niveau des clones. Cependant, la variation entre les cépages (inter-variétale) est beaucoup plus importante que la variation entre clones (intra-variétale) tant sur les caractères agromorphiques que sur la diversité moléculaire (Boursiquot et al. 2007). Certes, la diversité clonale a une importance majeure pour les viticulteurs. C’est généralement le seul moyen leur permettant une amélioration variétale sans changer de cépage.
La diversité de l'encépagement tunisien continue à intriguer. Cette diversité est issue des nombreuses conquêtes qu'a vécues la Tunisie durant son histoire à savoir celles des Romains, des Phéniciens, des turcs, des Grecques, des espagnols et des musulmans. En plus du commerce, la région méditerranéenne chevauche avec la région de distribution de V. vinifera spp sylvestris, la sous-espèce à partir de laquelle la vigne a été domestiquée (Zohary et Hopf 1993). Ceci a, sans aucun doute, contribué aux hybridations ultérieures entre vignes cultivées et spontanées et l’apparition de nouveaux évènements de domestication. Ceci a fait de la Tunisie le berceau des vignes autochtones du genre Vitis, des vignes locales bien appréciées par le consommateur et qui ont caractérisé chacun de nos terroirs. Néanmoins, ces vignes autochtones n’ont pas échappé aux lois du commerce et ont été substituées par les nouveaux cultivars industriels beaucoup plus productifs et rentables. Devant une telle érosion, il est vraiment indispensable de conserver ce patrimoine de ressources génétiques locales, de l’évaluer et même de le valoriser afin d’assurer une viticulture développée et durable. Pour cela, une identification précise et juste de ces ressources est particulièrement importante. Plusieurs études ont fait appel au marquage moléculaire pour étudier la diversité génétique des vignes cultivées et sauvages, leurs structurations génétiques et identifier les génotypes intéressants qui devraient être préservés pour éviter partiellement ou retarder leur érosion (Snoussi et al. 2004 ; Ibanez et al. 2009 ; Zoghlami et al. 2009 ; Cipriani et al. 2010 ; Alba et al. 2011 ; Ergül et al. 2011 ; Riahi et al. 2011 ; De Andres et al. 2012 ; Zoghlami et al. 2013).
Parmi les cépages autochtones les plus répandus dans toutes les régions viticoles tunisiennes, se distingue le Farrani, appelé encore Razzégui à Grombalia, Sfaxi à Nefta et M'guargueb à Bouficha (Ben Slimane 1999). Le Razzégui est considéré parmi les cépages les plus appréciés par le consommateur tunisien pour la qualité et la grosseur de ses fruits. (Minangoin 1905). Ce cépage a fait l'objet de plusieurs études par les chercheurs, de l'Institut National de la Recherche Agronomique de la Tunisie (Harbi Ben Slimane 2004 ; Ben Slimane Harbi et al. 2004 ; Harbi Ben Slimane 2005).
C'est un cépage à fleurs morphologiquement hermaphrodites mais physiologiquement femelles à étamines reflexes (recourbés vers le bas). Ce type floral est retrouvé le plus souvent chez les Vitis sylvestris dioïques, contrairement aux Vitis vinifera L. à fleurs à prédominance hermaphrodites.
Le Farrani est remarquable par sa souplesse d'adaptation aux différents sols viticoles tunisiens ainsi qu'aux différentes conditions bioclimatiques allant de l'étage subhumide à l'étage aride. Cependant, son défaut majeur est : le "millerandage" traduit par une hétérogénéité du calibre des baies à maturité. Ce phénomène déprécie énormément l'harmonie de la grappe et induit une baisse de la production. Le millerandage du Razzégui, empiriquement attribué à la morphologie des fleurs, a été précisé par Ben Slimane Harbi et al. (2004) qui signalent que ce phénomène est expliqué par la morphologie d'un grain de pollen sphérique et inaperturé incapable d'accomplir une fécondation adéquate et l'évolution en fruits de calibres homogènes. Une question intrigue encore : quelle position occupe le Razzégui parmi les vignes autochtones tunisiennes telles qu'elles soient cultivées ou spontanées ?
Cette étude a d'abord visé de présenter le Razzégui avec ses caractéristiques ampélographiques selon les descripteurs du code OIV, ainsi que le nombre de ses chromosomes. A cette description s'ajoute une analyse moléculaire sur la base de 9 marqueurs microsatellites qui tente de confirmer la position unique qu'occupe le Razzégui au sein d'une gamme de variétés cultivées et d'écotypes spontanés de Tunisie.
2. Matériels et méthodes
2.1 Matériel végétal et ADN
Un total de 54 accessions : 27 variétés de table dont le Razzégui et 27 accessions sauvages de Vitis vinifera de différentes régions de la Tunisie ont été analysées (Tableau 1). Les accessions sauvages ont été collectées dans 9 localités : Cap Négro (11 individus), Ouchtata (5), tabarka (3), El Kthayria (2), M’Saddar (2), et un seul individu dans chacune des régions de Aïn Draham, Nefza, Balta et à El Houimdia. Toutes ces variétés et accessions sont conservées en copies dans une collection du laboratoire d’Horticulture de l'Institut national de la Recherche agronomique de Tunisie (INRAT).
Tableau 1. Gamme des vignes cultivées et spontanées et leurs sites d'origine étudiée |
|||||
N° d'accession |
Variété cultivée |
Site d'origine |
N° d'accession |
Écotype spontané |
Site d'origine |
1 |
Tébourbi |
Raf-Raf |
28 |
Cap Négro 5/2000 |
Cap Négro |
2 |
Beldi |
Raf-Raf |
29 |
Cap Négro 6/2000 |
Cap Négro |
3 |
Chaaraoui |
Raf-Raf |
30 |
R’mel el Gojgoj |
Aïn Draham |
4 |
Hammami |
Raf-Raf |
31 |
Cap Négro I 89 |
Cap Négro |
5 |
Essifi |
Raf-Raf |
32 |
Tabarka G.1 |
Tabarka |
6 |
Testouri |
Djebba |
33 |
Cap Négro II 89 |
Cap Négro |
7 |
Bézoul el Bagra |
Bargou |
34 |
M’Saddar I’ |
M’Saddar |
8 |
R’kihi |
Bargou |
35 |
Cap Négro III Bis |
Cap Négro |
9 |
S 1 |
Zaghouan |
36 |
G. Ouchtata II |
Ouchtata |
10 |
Souabey eldjia |
Mahdia |
37 |
Ouchtata 16 |
Ouchtata |
11 |
Bézoul el Kalba el Bidha (B.Z.B) |
Sfax |
38 |
Gpt Cap Négro III |
Cap Négro |
12 |
Mahdoui |
Kerkennah |
39 |
El Kthayria II bis |
El Kthayria |
13 |
Hamri |
Kerkennah |
40 |
Ouchtata 3 |
Ouchtata |
14 |
Médina |
Gabès |
41 |
Cap Négro I |
Cap Négro |
15 |
Chaouch |
Jerba |
42 |
Nefza I |
Nefza |
16 |
Khamri 1 |
Tozeur |
43 |
V.S Balta |
Balta |
17 |
Saouadi |
K.T.Tozeur |
44 |
M’Saddar II |
M’Saddar |
18 |
Asli |
Sfax |
45 |
Cap Négro III |
Cap Négro |
19 |
Marsaoui |
Raf Raf |
46 |
Gpt. Cap Négro II |
Cap Négro |
20 |
Razzégui |
Raf Raf |
47 |
Ouchtata 17/2000 |
Ouchtata |
21 |
Chétoui |
Dégache |
48 |
El Houimdia 2/2000 |
El Houimdia |
22 |
Boukhasla |
Raf Raf |
49 |
Tabarka D3/2000 |
Tabarka |
23 |
Neb J’mel |
Balta |
50 |
Gpt. Cap Négro 1 |
Cap Négro |
24 |
Jerbi |
Kerkennah |
51 |
Gpt. Ouchtata 1 |
Ouchtata |
25 |
Tounsi |
Jerba |
52 |
Gpt. Cap Négro 4/2000 |
Cap Négro |
26 |
Bidh el H’mem |
Raf Raf |
53 |
Tabarka D2/2000 |
Tabarka |
27 |
Garaï |
Djebba |
54 |
El Kthayria I |
El Kthayria |
L’ADN génomique total de vigne qui va servir aux analyses moléculaires a été extrait à partir de sarments gelés et broyés à l’azote liquide en utilisant le kit d’extraction DNeasyTM Plant Mini Kit (Qiagen, Valencia, Calif.).
2.2 Méthodes
2.2.1. Description ampélographique
La caractérisation ampélographique du Razzégui a été réalisée selon le code des caractères descriptifs adopté par l'Organisation Internationale de la Vigne et du Vin, l'Union pour la Protection des Obtentions Végétales et l'Institut International de Recherche sur la Génétique des plantes (1997). Pour cela 32 descripteurs pour lesquels 201 niveaux d'expression ont été appliqués (Tableau 2).
Tableau 2. Liste des 32 descripteurs utilisés pour la caractérisation ampélographique |
|||
Référence |
Code OIV |
Descripteur |
Notation |
N1 |
002 |
jeune rameau |
distribution de la pigmentation anthocyanique |
N2 |
004 |
jeune rameau |
densité des poils couchés de l’extrémité |
N3 |
007 |
rameau |
couleur de la face dorsale des entre-nœuds |
N4 |
011 |
rameau |
densité des poils dressés des nœuds |
N5 |
012 |
rameau |
densité des poils dressés des entre-nœuds |
N6 |
017 |
vrilles |
Longueur |
N7 |
065 |
feuille adulte |
Taille |
N8 |
066 |
feuille adulte |
Longueur |
N9 |
067 |
feuille adulte |
forme du limbe |
N10 |
068 |
feuille adulte |
nombre de lobes |
N11 |
076 |
feuille adulte |
forme des dents |
N12 |
079 |
feuille adulte |
forme du sinus pétiolaire |
N13 |
080 |
feuille adulte |
forme de la base du sinus pétiolaire |
N14 |
082 |
feuille adulte |
forme des sinus latéraux supérieurs |
N15 |
083 |
feuille adulte |
forme de la base des sinus latéraux supérieurs |
N16 |
084 |
feuille adulte |
densité des poils couchés entre les nervures (face inférieure) |
N17 |
085 |
feuille adulte |
densité des poils dressés entre les nervures (face inférieure) |
N18 |
086 |
feuille adulte |
densité des poils couchés des nervures principales (face <) |
N19 |
087 |
feuille adulte |
densité des poils dressés des nervures principales |
N20 |
151 |
inflorescence |
Sexe |
N21 |
203 |
grappe |
Longueur |
N22 |
204 |
grappe |
Compacité |
N23 |
220 |
baie |
Grosseur |
N24 |
222 |
baie |
uniformité de la grosseur |
N25 |
223 |
baie |
Forme |
N26 |
225 |
baie |
couleur de l’épiderme |
N27 |
226 |
baie |
uniformité de la couleur |
N28 |
228 |
baie |
épaisseur de la pellicule |
N29 |
229 |
baie |
Ombélic |
N30 |
230 |
baie |
coloration de la pulpe |
N31 |
231 |
baie |
intensité de la coloration |
N32 |
234 |
baie |
fermeté de la pulpe |
N33 |
244 |
pépin |
Présence de cannelures transversales sur la face dorsale du pépin |
2.2.2. Analyse cytogénétique
L’analyse cytogénétique a permis d'évaluer la constitution chromosomique du Razzégui. Pour cela, une cytométrie en flux a été effectuée sur le cépage à l'aide d'un cytomètre (Partec PA-I). La cytométrie en flux permet l’évaluation du niveau de ploïdie, par l’analyse de la quantité d’ADN du génome nucléaire en faisant circuler des noyaux, préalablement marqués par un colorant. Le cytomètre en flux a été étalonné à l’aide d’un témoin diploïde (variété Pinot noir).
Des fragments du limbe prélevés à partir de feuilles de Razzégui sont additionnés à un fragment de feuilles diploïdes (témoin interne) et hachés en présence de 400 µl de tampon d’extraction (Partec, cystain UV précise P Nuclei Extraction Buffer) afin de libérer les noyaux. La solution obtenue est filtrée à 30 µm (Partec). 800 µl de DAPI sont ajoutés au filtrat (Partec, cystain UV précise P staining buffer). Ce fluorochrome, spécifique à l’ADN, va marquer les noyaux, leur permettant par la suite d’émettre une lumière fluorescente pour être comptés à leur passage devant la lampe UV à 365 nm. Le dénombrement est retranscrit sur un histogramme sous forme de pic(s) correspondant à un taux de ploïdie donné (Froelicher et al. 2007).
2.2.3. Analyse moléculaire
Neuf loci microsatellites nucléaires, développés et caractérisés dans des études antérieures sont appliqués : VVS2 (Thomas et Scott 1993), VVMD5 et VVMD7 (Bowers et al. 1996) caractérisés chez Vitis vinifera, et ssrVrZAG21, ssrVrZAG47, ssrVrZAG62, ssrVrZAG64, ssrVrZAG79 et ssrVrZAG83, initialement identifiés chez Vitis riparia (Sefc et al. 1999). Certains de ces microsatellites ont déjà servi comme l’ensemble le plus adéquat au génotypage des collections de vigne dans le consortium européen GENERES.
Les polymorphismes microsatellites ont été détectés radio-activement selon les conditions décrites par Arroyo-Garcí et al. (2002) et Snoussi et al. (2004). Après électrophorèse, les gels ont été séchés et mis en autoradiographie. L’inspection visuelle de ces auto-radiogrammes a permis de marquer les bandes polymorphes.
Pour chaque paire d’amorces, les bandes issues de l'électrophorèse sur gel de polyacrylamide 6% ont été notés comme données alléliques. Les données ont été vérifiées par double lecture et les génotypes à profils douteux systématiquement ré-analysés.
Les données ont été utilisées pour calculer une matrice de dissimilarités à l’aide de l’indice ‘Simple matching’ développé pour l’étude des données alléliques selon la formule :
dij = Où :
dij : dissimilarité entre les individus i et j
L : nombre de locus
: ploïdie; ml : nombre d’allèles assortis pour le locus l
La matrice de dissimilarités a été par la suite utilisée pour construire un dendrogramme avec la méthode du Neighbor-joining développée par Saitou et Nei (1987), avec pour principe le regroupement séquentiel des accessions voisines en minimisant la longueur totale de l’arbre. La robustesse des nœuds a été testée en appliquant 1000 ré-échantillonnages (bootstraps).
Ces analyses ont été faites à l’aide du logiciel Dissimilarity Analysis and Representation version 5.0.158 (Perrier et Jacquemoud-Collet 2006).
3. Résultats
3.1. Description ampélographique
Les notations ampélographiques réalisées sur le Razzégui sont indiquées dans le tableau ci-dessous :
Tableau 3. Notations des caractères ampélographiques du cépage Razzégui d’après le code OIV |
||||||||||||||||||
Caractère OIV |
001 |
002 |
004 |
007 |
011 |
012 |
016 |
017 |
065 |
066 |
067 |
068 |
076 |
079 |
080 |
082 |
083 |
084 |
Variété Razzégui |
7 |
3 |
5 |
2 |
1 |
1 |
1 |
1 |
5 |
1 |
3 |
2 |
2 |
3 |
1 |
2 |
1 |
3 |
Caractère OIV |
085 |
086 |
087 |
151 |
203 |
204 |
220 |
222 |
223 |
225 |
226 |
228 |
229 |
230 |
231 |
234 |
244 |
|
Variété Razzégui |
1 |
3 |
1 |
5 |
5 |
5 |
7 |
1 |
2 |
1 |
1 |
5 |
2 |
1 |
1 |
2 |
1 |
|
L'ensemble de ces notations est à la base de la présentation d'une fiche ampélographique du cépage (Figure 1). Une telle fiche renseigne sur les principales caractéristiques du cépage :
Bourgeonnement : coloré, distribution de la pigmentation Anthocyanique de l'extrémité généralisée, densité des poils couchés de l'extrémité moyenne.
Rameau : coloré, couleur de la face dorsale des entre-nœuds verte à raies rouges, densité des poils dressés des nœuds et des entrenœuds très faible.
Vrilles : distribution discontinue sur le rameau, courtes, longueur moyenne 15 cm.
Feuille adulte : taille moyenne, longueur moyenne inférieure à 9 cm, limbe de forme pentagonale à 3 lobes, pigmentation anthocyanique de la nervure principale de la face dorsale du limbe très faible, cloqûre de la face supérieure du limbe très faible, dents à côtés rectilignes, sinus pétiolaire ouvert à base en forme de U, sinus latéraux supérieurs fermés, densité des poils couchés entre les nervures de la face inférieure faible, densité des poils dressés entre les nervures de la face inférieure très faible, densité des poils couchés sur les nervures principales de la face inférieure faible, densité des poils dressés sur les nervures principales de la face inférieure très faible.
Fleur : femelle à étamines réflexes.
Grappe : compacité moyenne, longueur moyenne 22 cm, largeur moyenne 10 cm, poids moyen 270 g.
Baie : grosse, grosseur non uniforme, forme légèrement aplatie, couleur de l'épiderme vert jaune, non uniforme, pellicule d'épaisseur moyenne, ombilic apparent, pulpe non colorée, ferme.
Pépin : absence de cannelures transversales sur la face dorsale du pépin.
Figure 1. Principales caractéristiques du cépage Razzégui |
3.2. Description cytogénétique
L’analyse par cytométrie en flux du Razzégui a révélé un seul pic du niveau de la ploïdie (Figure 2) correspondant à l'accession confondue avec le témoin interne préalablement choisi diploïde (Pinot noir à 2n=38). Ce qui témoigne de la diploïdie du Razzégui.
Figure 2. Analyse de la ploïdie du Razzégui par cytométrie en flux (2n=38) |
3.3. Analyse moléculaire
Les données moléculaires ont permis d'établir un dendrogramme basé sur les dissimilarités pour dégager les relations génétiques entre les 54 accessions de vignes autochtones tunisiennes. Sur ce dendrogramme, 3 groupes sont clairement identifiés (Figure 3). Le premier groupe (I) renferme la majorité des vignes cultivées (22), suivi d'un deuxième groupe (II) contenant 4 vignes cultivées dont le Razzégui et une vigne spontanée Ouchtata 16. Le troisième (III) rassemble la majorité des vignes spontanées (24).
Figure 3. Arbre Neighbor-Joining enraciné illustrant l'organisation de la diversité génétique au sein de 54 vignes autochtones cultivées et spontanées tunisiennes. Ces accessions ont été analysées avec 9 loci SSRs nucléaires. Les valeurs des Bootstraps (1000 ré-échantillonnages) figurent sur les branches si > 40. |
4. Discussion
Considérée comme étant la variété la plus anciennement connue en Tunisie, le Razzégui a fait l’objet de plusieurs descriptions (Minaingouin 1905 ; Ben Slimane Harbi 2004, 2005). Selon Ben Slimane (1999) pour les souches spontanées (32 souches tunisiennes), les plus fortes fréquences des types floraux correspondent aux individus mâles (51,02 %). Les individus femelles ont une fréquence de 18,02 %, alors que les individus hermaphrodites ne présentent qu’une fréquence de 7,69 % de l’ensemble des souches étudiées. Dans la même étude, chez 34 variétés cultivées, les fleurs sont soit femelles (morphologiquement hermaphrodites et physiologiquement femelles : caractère OIV. 151: 5) soit hermaphrodites (caractère OIV. 151: 3) avec la prédominance des types hermaphrodites qui présentent une fréquence de 74 %.
Le Razzégui, reconnu cépage prédisposé à former des pépins normaux (Ben Slimane Harbi et al. 2004), possède des fleurs morphologiquement hermaphrodites mais physiologiquement femelles à étamines reflexes. Ce type floral rejoint donc vraisemblablement le groupe des Vitis sylvestris dioïques (mâle ou femelle), contrairement aux Vitis vinifera L. à fleurs à prédominance hermaphrodites.
L'analyse génotypique de cette étude a révélé que les deux jeux d'accessions cultivées et spontanées montrent des niveaux élevés de variation génétique similaires à ceux rapportés par d'autres auteurs ayant travaillé sur différents ensembles de cultivars de vigne (Martinez et al. 2006 ; Ibanez et al. 2009; Cipriani et al. 2010; Laucou et al. 2011).
Ceci dit, la présence du génotype cultivé Essifi dans le groupe des vignes spontanées, pourrait être expliqué par un phénomène de domestication locale (Snoussi et al. 2004). Le Razzégui appartient à un troisième groupement qui implique 3 vignes cultivées autochtones (Bézoul el Kalba el Bidha, Souabey eldjia et Jerbi) et l'insertion du génotype spontané Ouchtata 16. Ce résultat n'exclut pas la contribution du génome spontané sylestris dans certaines vignes cultivées tunisiennes dont le Razzégui. Il a été soutenu que les différences entre vignes cultivées et spontanées sont le résultat du processus de domestication (This et al. 2006 ; Arroyo Garcίa et Revilla 2013). La forme sauvage, considérée comme étant l'ancêtre putatif de la forme cultivée, représente le seul taxon endémique des Vitaceae en Europe et au Maghreb (Heywood et Zohary 1991). Les relations génétiques putatives entre variétés cultivées et populations locales sylvestris ont été proposées dans d'autres régions (Grassi et al. 2003 ; di Vecchi et al. 2009).Cependant, outre l’exemple de la souche Ouchtata 16 avec le groupe comprenant le cépage Razzégui, le dendrogramme illustre bien une forte différenciation entre les accessions cultivées et les accessions spontanées encore existantes en Tunisie. Une telle variabilité serait le résultat d’abord d’un éventuel matériel introduit au cours de l’histoire de la Tunisie, à partir duquel seraient dérivées les vignes cultivées locales (Snoussi et al. 2004). Les phénomènes d’hybridation, de propagation végétative, de domestication locale et de sélection humaine ont par la suite interagi pour donner les variétés de vignes cultivées connues. Le choix fait par les agriculteurs de cultiver de nouvelles variétés de vigne est souvent motivé entre autres par la demande des marchés, les variations de l'environnement et la durabilité des productions. Malheureusement, ces choix entraînent souvent une érosion génétique importante au niveau des zones de production. Parmi tant d’autres, le cépage Razzégui se trouve menacé par cette érosion. En plus de sa conservation, une caractérisation presque complète de ce cépage constitue une première et importante étape pour son intégration dans des programmes d’amélioration des ressources génétiques viticoles locales.
5. Conclusion
Notre étude a fourni une caractérisation ampélographique et génétique du cépage de vigne autochtone tunisien Razzégui. Vu la spécificité de ce cépage, une évaluation agronomique devrait s’en suivre.
Malgré un éventuel chevauchement entre les 54 accessions autochtones cultivées et spontanées, l’analyse génétique par les marqueurs microsatellites, a permis de les distinguer en révélant 54 génotypes uniques. La position du Razzégui par rapport au reste des accessions analysées suggère l’occurrence de vigne spontanée ayant subi au cours du temps des évènements de domestication et d’hybridation.
Des plantations mixtes de ce cépage avec un cépage fertile et à floraison parallèle, pourrait constituer un moyen efficace qui permettrait une fécondation adéquate afin d’obtenir une homogénéisation du calibre de la grappe donc de la production.
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